Le neuroscientifique Facundo Manes : « Nous allons vers un monde hybride et inégalitaire ».

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Le neuroscientifique Facundo Manes :

Quel a été l’impact psychologique de la covidie ? A quoi ressemblera le monde post-pandémie ? Comment pouvons-nous lutter contre la « pandémie » de santé mentale ? Facundo Manes, l’un des neuroscientifiques les plus réputés au monde, répond à ces questions dans une interview accordée à EFEsalud à l’occasion de la présentation en Espagne de son dernier livre, « Ser humanos ».

Dans son livre « Ser humanos » (Ed.Paidós), écrit en collaboration avec Mateo Niro, le neuroscientifique argentin Facundo Manes révèle, de manière accessible et ludique, tout ce que nous savons à ce jour sur le fonctionnement du cerveau.

Dans une interview accordée à EFEsalud, M. Manes passe en revue les conséquences de la pandémie du point de vue du fonctionnement du cerveau et de la santé mentale.

Il affirme que « la pandémie a accentué les inégalités dans le monde », tout en favorisant « un contexte plus hybride » en ce qui concerne l’utilisation des technologies.

En sortirons-nous plus résilients ou plus individualistes ?

Tout au long de l’histoire, les pandémies ont toujours changé la mentalité et la société de l’époque.

Cette pandémie va aussi nous changer et l’empathie, la résilience et l’intelligence collective seront des qualités essentielles pour en sortir plus forts.

La pandémie a provoqué des niveaux très élevés et prolongés d’incertitude, de stress et d’anxiété. Quelles sont les conséquences pour nos cerveaux ?

La santé est définie comme un bien-être complet : physique, mental et social. La santé physique est indissociable de la santé mentale. Pourtant, la santé mentale n’a pas été considérée comme une priorité dans la réponse à la pandémie. Nous avons une pandémie de santé mentale au coin de la rue qui survivra au virus.

Quel est le « vaccin » contre cette pandémie de santé mentale ?

Les gouvernements devraient lancer des plans massifs de psycho-éducation. Au-delà de la psychiatrie et des services de santé mentale dans les hôpitaux, il faudrait une communication de masse pour doter les citoyens d’outils leur permettant de gérer le stress, la détresse…

Qui souffrira le plus intensément de ces effets ?

Tout le monde, dans une mesure plus ou moins grande, ressent un sentiment de perte, mais les groupes les plus touchés sont les moins de 20 ans, parce qu’ils n’ont pas encore achevé leur développement neurologique, et les femmes, en raison de l’augmentation de la violence de genre au cours de ces mois.

Elle a également touché les plus pauvres, car les inégalités ont été accentuées, ainsi que les professionnels de la santé et les personnes âgées.

La Journée de la santé mentale sera célébrée le 10 octobre, précisément à un moment très délicat après un an et demi de pandémie. Quel doit être le message ?

Le message est que la santé mentale est un élément fondamental de la santé, aussi important que la santé physique, et que la stigmatisation doit être réduite. La pandémie a mis en évidence le fait que nous sommes tous des êtres humains : nous avons tous ressenti de la détresse, de l’anxiété, du stress… et cela nous a rendus plus conscients et plus compréhensifs de l’importance de la santé mentale dans notre bien-être.

Quelles sont les maladies mentales les plus courantes ?

Les plus courantes sont l’anxiété, la dépression et le stress chronique, mais il en existe bien d’autres. Le problème est que le stress est lié à notre mode de vie. Nous devons donc faire appel à la science pour déterminer les éléments qui nous procurent du bien-être. Le plus important à cet égard, ce sont les relations humaines.

Dans la mesure où les maladies mentales sont des troubles du cerveau, serons-nous en mesure de les diagnostiquer avant même l’apparition des premiers symptômes ?

Les maladies cérébrales sont la première cause d’invalidité dans le monde, devant le cancer et les maladies cardiovasculaires.

Ces dernières années, des progrès importants ont été réalisés dans le diagnostic des maladies mentales. Cependant, il nous manque un marqueur biologique pour ces maladies mentales, et pour cela, il faut investir davantage dans la science.

Le défi de l’avenir consistera précisément à détecter ces maladies dans le cerveau avant même l’apparition des symptômes.

Face à cette pandémie, nous avons eu la science et la technologie de notre côté. Comment la technologie nous a-t-elle aidés à faire face à l’isolement, et la technologie peut-elle remplacer les liens humains ?

La pandémie nous a obligés à utiliser davantage la technologie, et en ce sens, elle a eu des effets positifs. Mais continuer à abuser de la technologie sur le long terme peut poser problème, car les êtres humains sont des êtres sociaux.

Si l’on veut avoir du bien-être, il faut se déconnecter, valoriser le contact humain, se concentrer sur une seule tâche… Un cerveau attentif au présent est un cerveau heureux et plus productif.

La technologie affecte-t-elle notre capacité de mémorisation ?

La technologie surpasse déjà certaines compétences humaines, comme la mémoire, et je pense donc que les compétences de mémoire encyclopédique vont diminuer et devenir moins importantes dans l’éducation. Au contraire, de nombreuses compétences humaines, telles que la compassion, l’altruisme, la créativité… seront améliorées.

D’autre part, les systèmes éducatifs actuels sont encore très axés sur la mémoire encyclopédique. Est-ce la meilleure façon pour notre cerveau d’apprendre ?

Le cerveau apprend lorsque quelque chose nous inspire, nous motive ou nous semble être un exemple. L’enseignement encyclopédique n’a plus beaucoup de sens.

Je suggère à ceux qui élaborent des plans d’éducation de se concentrer sur les compétences humaines qui seront essentielles pour le présent et l’avenir du travail. Ce sont précisément les compétences que les machines ne pourront jamais remplacer.

À quoi ressemblera le monde post-pandémie ?

La pandémie est une crise multidimensionnelle : sanitaire, économique, éducative, géopolitique, morale et psychologique. Nous évoluons vers un monde plus hybride et plus inégalitaire.

Malheureusement, la pandémie va aggraver les inégalités dans le monde. Les pays développés et les pays pauvres s’éloigneront davantage les uns des autres, et même au sein des pays, les inégalités s’aggraveront.

Ce sera, avec le changement climatique, l’un des grands problèmes de l’avenir. Notre santé est directement liée à la santé de la planète, donc si nous continuons ainsi, nous verrons davantage d’épidémies ou de pandémies dans les années à venir.

Une stratégie mondiale est nécessaire, mais je ne vois pas de leaders mondiaux se réunir. Je pense que la pandémie a renforcé le nationalisme et que nous avons fait un pas en arrière dans ce monde globalisé et connecté.

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Jean-Pierre
Médecin généraliste à la retraite après 32 ans d'exercice, je suis aussi passionné par l'évolution des outils technologiques comme internet. Ayant beaucoup plus de temps libre, j'ai lancé ce site internet afin de coupler mes deux passions : la médecine et les outils technologiques. Mon seul objectif est de partager mes connaissances au plus grands nombres et offrir un support ouvert à tous afin de partager les dernières actualités et innovations liées à la santé.